lundi 8 novembre 2010

Modern Lovers - Article Télérama Avril 2009


Sans doute un des groupes les plus oubliés de l'histoire du rock, et de la musique en général, mais pourtant essentiel - à l'image de BIG STAR en 1972 ou WIRE en 1977, sans aucun rapport au style musical. Pas encore tout à fait punk (ils ne le seront jamais vraiment), ils sont le chaînon manquant entre les non moins célèbre Velvet (mais oui, la banane dessinée par A.Wharol) et Stooges de Détroit, et les petits morveux de 76/77 qui ont décidé d'en découdre avec les autorités. Récapitulatif de ce groupe mythique, culte diront certains, par François Gorin de Télérama. Groupe dont l'influence depuis est inversement proportionnelle aux ventes d'albums :

"Partie 1 : On peut réécrire l'histoire et relire les articles, éplucher les rééditions, rien à faire : personne chez nous n'avait entendu parler des Modern Lovers avant 1976. Jonathan Richman était un zozo inconnu avant l'excitant aperçu donné par Philippe Garnier dans Rock & Folk au fil d'un de ces papiers-fleuve qui nous régalaient à l'époque. The Modern Lovers, tout noir avec logo en cœur effilé et Jonathan Richman & The Modern Lovers, portrait romantique sur fond nuageux, sont arrivés par la même malle.


C'est juste que le second sortait de l'avion tandis que l'autre, au fond de la soute d'un vieux cargo, avait mis cinq ans. On découvrait ce jour-là le poète naïf ploink-ploink à vague air de BHL (col blanc échancré, cheveu flou) ; et le morveux coupé court et chantant du nez des vers tirés de ses carnets de collégien. C'était le même ! Fallait-il choisir entre les deux ? Les premiers Modern Lovers, c'était le Velvet junior. Son sale, guitares saturées, orgue lancinant. Roadrunner, avec son décompte impérissable, one two three four five six… ? Un Sister Ray réduit à la dimension de 96 Tears. Les garçons étaient de Boston et tous ont fait carrière : Dave Robinson batteur des Cars, Jerry Harrison clavier des Talking Heads, Ernie Brooks bassiste chez Elliott Murphy… Sacrée bande, sauf que ce fut la débandade. Puis naissance d'un fantasme, alimenté contre l'évidence du « nouveau » Jonathan. Pablo Picasso est en fait le premier d'une série sur les grands peintres (encore tout récemment, No one was like Vermeer). Mais torché avec les manières loureedo-stoogiennes de ses 20 ans. Pablo Picasso was never called an asshole… Les Modern Lovers, eux, se sont pris quelques tomates. Ils se détestaient, dit la légende. Richman était un petit dictateur en son genre, avant de jouer au petit dinosaure. Quelle chanson ! La version de John Cale lui a peu apporté, celle de Bowie rien du tout. Qui des deux aurait pensé à faire rimer avocado et Eldorado ?



Partie 2 : Sur leurs photos de jeunesse obscure, les Modern Lovers ont les cheveux longs. Normal, on est en 1971-1973. Tous un peu hippies sauf Jonathan Richman. Lui, on dirait qu'il a 12 ans et que trois druggies l'ont pris comme mascotte ou souffre-douleur. Pas du tout : c'est un gamin du quartier, il cherche des copains dans un monde froid et cruel. Tout content d'avoir mis la main sur ces marginaux. Le rock, il adore ça depuis qu'il a vu la banane jaune fluo du premier Velvet Underground. Sa boussole. Que les Velvet se pointent à Boston et il ne les lâche plus. Un vrai pot de colle. Mais pas du genre à sniffer, lui : I'm straight, c'est un de ses premiers morceaux.


Et les trois autres, ils écoutaient quoi ? Stooges, New York Dolls ? Les Doors, aussi ? On pouvait le croire en entendant Astral Plane. C'est l'orgue, sûrement. Tonight I'm all alone in my room… Même avec son groupe, il chantait ses trucs à lui seul, Jonathan. Du Iggy puceau. Si tu ne veux pas dormir avec moi, je serai quand même avec toi… Ou bien je vais devenir fou… Qu'en pensaient-ils ses acolytes, de ces chansons-là ? Ces histoires de solitude urbaine, de rendez-vous nocturne « au plan astral »… Ils avaient peut-être des projets en tête.

Personne n'a l'air d'y avoir jamais vraiment cru, à ce groupe. John Cale a produit des démos, Kim Fowley s'en est mêlé. Warner voulait signer. Puis Jonathan n'a plus voulu chanter ses « vieilles » chansons. Ou alors plus comme ça. Il avait perdu le dégoût, la rage. Un punk, lui ? Hum… Plus tard, avec d'autres Modern Lovers, ceux-là dévoués à sa cause, au moment de faire Astral Plane en concert, le or I'd go insane de la version d'origine devient so we don't go insane… Plus question de se mettre la tête à l'envers. Jonathan n'a pas jeté à la poubelle son concept de « monde moderne », mais il lui voit maintenant des lumières, des vies en rose, il lui ouvre les bras. Le premier Astral Plane, c'est sa nuit. Elle nous appartient désormais.



Partie 3 : Je parlais des trois autres Modern Lovers hier mais ils ont été fugacement quatre avec John Felice. Une autre légende bostonienne, celui-là. Il avait déjà des chansons, les proposait. Jonathan n'en voulut pas. Ce groupe de fortes têtes était son groupe à lui et ne jouerait que ses chansons. Point. Felice est parti former les Real Kids. Pendant que Willie « Loco » Alexander lançait son Boom Boom Band.

Pourquoi parler de Willie Alexander ? Parce qu'il était l'autre grand Velvetmaniaque à Boston. Plus âgé que Richman, il a même réussi à faire partie du V.U. vers la fin, quand Sterling Morrison est parti. Bon d'accord, il n'y avait plus un seul membre d'origine. Mais Alexander et Jonathan ont eu leur petite revanche : invités par Moe Tucker sur une reprise de I'm sticking with you.

Richman n'était pas encore guéri de son loureedisme aigu quand il a écrit et enregistré Hospital, premier du nom. Mais il se soignait un peu. Ce morceau lent n'a pas grand-chose à voir avec Heroin, sauf le tempo à la rigueur. Sinon rien de sinueux ici, tout est déjà candeur : quand tu sortiras de l'hôpital, chante le troubadour à sa dulcinée, laisse-moi revenir dans ta vie. I can't stand what you do / but I'm still in love with your eyes. La malade, c'est donc elle. Jonathan est l'ange de réserve, il patiente et espère.

Ce thème du back in your life donnera plus tard des choses plus franchement guillerettes. Hospital aura une autre vie avec les Modern Lovers de 1978, qui s'acquittaient mieux d'un traitement tout en douceur. La voix de Richman est livrée quasi brute à l'auditeur, qui en aime déjà la fragilité. Cette version live est la face B d'un 45-tours Beserkley Records, pochette jaune citron (dernier hommage à la banane ?). De l'autre côté, Buzz buzz buzz, typique du Jonathan retombé en enfance, pour le meilleur (souvent) et le moins meilleur (personne n'est parfait). Ce spécimen intéressant fera bien sûr l'objet d'une prochaine série – ou deux.



Partie 4 : C'est donc en 1976 que Jonathan Richman est entré dans ma vie. L'album noir a eu son tour, il est maintenant couvert de mythe. J'ai aimé l'autre aussi dès le premier regard. Celui tout frais de la veille. Le jeune homme a le cheveu romantique et l'œil de la biche que n'effraient pas les tigres en papier. Il vit dans un monde à part. Chuck Berry pour lui ce n'est pas de la vieille musique, et si Buddy Holly est mort on ne l'a pas mis au courant. Back in the USA by Chuck Berry… as done by the Modern Lovers… one-two, one-two-three-four…

Mais tout de suite ma préférée, ç'a été Important in your life. Il y a toujours un groupe mais on entend bien peu de chose autour de Jonathan. Il a fait le vide dans la pièce et n'a laissé qu'un canapé où se serrent Leroy Radcliffe (guitare), Greg « Curly » Keranen (basse) et le rescapé Robinson, pratiquement condamné à taper avec ses doigts sur une boîte en carton. Pour le niveau sonore, on semble avoir fixé la mire sur l'intro de I'll be your mirror (après on ne parle plus du Velvet, promis). L'album Jonathan Richman & the Modern Lovers inaugure un genre de rockabilly-folk. Très personnel. Peut déclencher des allergies. Ou réveiller des énergies. Pour moi c'était un irrépréssible élan d'affection. Voilà un garçon qui me parlait. Pas la peine de faire trop de bruit. J.R. a choisi la subversion par le dénuement.

De quel temps était-il donc, à gratter sa petite guitare en fredonnant : I want to hear from you that I'm important… in your life ? Derrière, ses camarades font : dilili… dilili… Pour eux ce n'est que le début des brimades. Sur l'autre face de l'album débarquent les petits insectes, les martiens, et l'abominable homme des neiges hante le supermarché. Bientôt des Modern Lovers plus versés dans ce minimalisme juvénile prendront le relais : Asa Brebner et D-Sharpe en plus de Radcliffe. Ils donneront à Mogador en 1978 un de ces concerts que je ne suis pas près d'oublier…"

François Gorin ( Télérama - Avril 2009)


Live sur Deezer :
http://www.deezer.com/fr/#music/modern-lovers/live-at-the-longbranch-and-more-41672


Roadrunner - (un des) le titre(s) le(s) plus célèbre(s) des Amoureux Modernes, puisqu'il en faut un. Mais cela ne vous dispense pas d'écouter l'album dans son intégralité, absolument indispensable vous l'aurez compris.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire