vendredi 13 janvier 2012

Punks : no future ?

Pour répondre à la question : « Le mouvement punk fut-il vraiment "no future" », j’avais la possibilité de consulter un dictionnaire[i], de lire des revues spécialisées, qu’elles soient en français[ii] ou en anglais[iii].

J’ai choisi – outre ces lectures – de demander à Gérard Milhe Poutingon de me raconter sa vision de ce mouvement, lui qui a rencontré le punk dans les années 1970, et qui continue de lui trouver beaucoup d’intérêt.

Je le remercie ici de m’avoir donné cet aperçu de la « punkitude » britannique, univers que je connaissais fort peu.



Q : Voici deux images côte à côte dont l’une date de la fin des années 1970 et l’autre de quelques semaines à peine : cela vous permet-il de dire, vous qui vous y êtes intéressé à l’époque, que le punk n’est pas mort, et que donc il n’était pas « no future » ?

R : Moi, le « no future », je le comprenais comme appliqué à la jeunesse de l’époque, qui ne se voyait pas de vrai avenir, et ce "sans avenir" se cristallisait dans le mouvement punk… Le mouvement punk lui-même, tel que moi je le comprenais, comme un affranchissement des règles, du dogmatisme, de la tradition scolaire, bourgeoise, etc, ça je pense que ça ne peut pas périr… ça, ça dure… parce que c’est le seul aspect du punk qui m’intéressait.

Q : Si on décline le punk comme ayant eu des aspects musicaux, visuels, politiques, artistiques, est-ce plutôt ce dernier aspect qui vous intéressait ?

R : Oui ; cela dit quand on regarde l’évolution des groupes phares punk de l’époque, soit ils ont disparu, soit ils ont évolué, les Clash par exemple…

Q : Vous avez rencontré ça comment ?                                       

R : J’habitais Calais, et il y avait une grande proximité avec l’Angleterre. Pour un adolescent calaisien des années 76, pour moi et mon large groupe d’amis à l’époque, la culture était anglaise. Comme la télévision française à l’époque était un vrai désert, on captait la BBC, on regardait la télévision anglaise qui était infiniment plus riche. On captait aussi les radios pirates comme radio Caroline, qui émettait depuis un bateau.

Q : Vous compreniez les paroles ?

R : Pas toutes mais elles ne m’intéressaient pas plus que ça parce que j’écoutais ça comme de l’expression musicale… Même si je les comprenais, comme par exemple celles des Sex Pistols, Anarchy in the UK, mais je mettais plutôt ça sur le compte d’une posture rock and roll, une expression musicale qui me plaisait à l’époque, et qui continue de me plaire.

Q : Vous avez mentionné les Clash et les Sex Pistols : vous pouvez citer d’autres groupes ?

R : Jam… Je me souviens avoir vu en concert à l’époque des groupes mineurs qui n’existent plus, qui n’ont jamais dû faire de disques, les Doctors of Madness par exemple.

Q : Les concerts, c’était à Londres ?

R : Non, à Calais, les groupes venaient à Calais. J’aimais beaucoup aussi Joy Division, qui n’était pas un groupe punk et qui est venu plus tard, au début des années 80, mais pour les mêmes raisons : parce que ça sonnait… ça sonnait sale, pas comme Genesis ou Pink Floyd que j’aimais bien aussi par ailleurs … cette esthétique sale, qui avait l’air très improvisée, qui refusait les arrangements, les productions, et que de cette esthétique-là puisse sortir une force d’émotion, c’est ça qui me plaisait… une émotion artistique qui naît d’une apparente improvisation, d’un apparent amateurisme. C’est ça que j’aime aussi dans l’art brut, et aussi dans l’art tribal, … j’y retrouve la même émotion pour la même raison… des gens qui ne sont manifestement pas allés aux Beaux Arts, par exemple, pour l’art tribal, je pense à ce que font les forgerons africains qui parviennent à fabriquer des formes sublimes avec un minimum de moyens… C’est ça qui me plaisait dans le punk. Et puis j’aimais beaucoup le rock and roll. D’ailleurs, il y a eu un flottement au début, on ne savait pas trop qui était punk, on ne savait pas trop ce que c’était que le punk… Le punk a été fabriqué ensuite.

C’était dans la façon de jouer, de chanter de produire chez les punks il y avait un côté amateur, une façon de chanter, vous savez, Johnny Rotten, le chanteur des Sex Pistols a influencé ça, un chant qui n’était pas vraiment un chant, de même que les disques n’avaient pas l’air produits, les morceaux n’avaient pas l’air joués, le chant n’avait pas l’air chanté, les paroles… étaient parfois éructées… parfois la voix était nasillarde… c’était pas du chant…

Le chant de Strummer évolue, les Clash en arrivent à faire ensuite une musique plus élaborée, plus riche, mais sans perdre l’esprit punk… Il y a un mouvement punk mais aussi un esprit punk.

Q : Donc le mouvement punk pouvait être no future et effectivement il n’a pas duré, mais l’esprit punk, lui, dure…

R : Oui. C’est comme ça que j’ai perçu la chose.

Q : Vous avez dit que le punk avait été « fabriqué »

R : Je me souviens qu’à l’époque on ne trouvait pas à Calais le premier disque des Sex Pistols et on est allés le chercher en Angleterre mais j’ai pas du tout le souvenir d’avoir vu ces crêtes d’Iroquois ou des choses comme ça. C’est sûr, on voyait des chaînes autour de la taille, des blousons, etc, des grosses Doc Martens, mais dans mon souvenir c’est venu après, cette imagerie… Quand j’essayais de singer les punks, je me souviens pas de m’être dit… aller jusqu’à porter une crête : j’ai pensé au noir, au métal, et à l’épingle de nourrice… Je m’en étais fait une fausse… Faut quand même pas exagérer ! (Rires)… Je me la clipsais dans le nez, ou dans l’oreille…

Q : Le punk, c’était donc un moyen de vous singulariser ?

R : C’était surtout la musique… J’avais une forme de violence, que j’exprimais physiquement en faisant de la boxe à l’époque, et la musique punk avait cette énergie, mais le message politique ne me concernait pas parce que j’avais trop à faire avec moi-même, c’était une forme d’expression musicale qui me convenait, qui correspondait à mon moi intérieur…

Q : C’était un moyen d'être « avec vous » ?

R : Oui, c’est ça, j’avais ces deux moyens, la musique et la lecture. C’étaient aussi des moyens de sortir du monde…

Q : Une posture un peu romantique ?

R : Ah oui ! Je lisais aussi beaucoup de littérature romantique. Certains groupes punk, d’ailleurs, ont évolué vers cette sorte de romantisme : je pense aux Stranglers par exemple. D’ailleurs, d’une certaine manière, au punk a succédé la new wave, ou la cold wave, et il y avait une forte dose romantique donc forcément une forte mélancolie. D’ailleurs Ian Curtis le chanteur de Joy Division s’est suicidé. Je pense que ce sont des gens comme lui qui ont incarné le « future » des punks plus que McLaren et compagnie.

Le punk en soi ne m’a pas intéressé mais il a répondu à certaines de mes attentes de l’époque, l’énergie, la fraîcheur musicale et en même temps la cristallisation de certaines tensions intérieures, à la fois une certaine violence et une certaine mélancolie, donc à l’époque, lectures romantiques et boxe… un personnage à la Jack London, pas le romantique avec son jabot de dentelle…

Q : Et le contexte économique ou politique de l’époque, les années Thatcher, la fin des Trente glorieuses, est-ce que ça entrait en ligne de compte ?

R : Non, ça c’est venu après… A l’époque, je n’avais pas de conscience politique… C’était un mal-être général… J’étais passionné de musique et d’art, j’aimais beaucoup la peinture aussi, et je trouvais que ce qu’on écoutait à l’époque était quand même très ennuyeux, et quand j’écoutais les Clash par exemple, la vie était là. La boxe aussi d’ailleurs, la vie était là, quelque chose qui bouge, le mouvement, qui est assez rugueux…

Q : Donc le punk c’était un moyen à la fois de…

R : Oui c’est ça. A la fois un moyen d’échapper à quelque chose – une petite vie bourgeoise – et un moyen d‘exprimer cette sorte de tension intérieure, dont j’imagine que tous les adolescents la ressentent. De toute façon cette idée qu’il n’y a pas de n’envisager aucun futur engendre la mélancolie, il y a là une sorte de pulsion mortifère quand même, dans le punk, qui à mon avis s’exprime en même temps qu’elle trouve sa compensation, et c’est peut-être ça qui m’intéressait… Je suis peut-être en train d’intellectualiser, de rationaliser… Mais l’idée qu’il n’y a pas de futur et en même temps pratiquer une forme d’art aussi énergique, aussi dynamique et vitale… Je ne sais pas… Je ne sais pas… En tout cas c’était cette forme d’expression, cette nouveauté affranchie de tous les carcans, de la culture bourgeoise… Ces gens-là n’allaient pas dans les écoles d’art, ne suivaient pas des cours de musique, de solfège, ils n’avaient pas d’argent, ils s’achetaient une guitare, ils jouaient, et voilà.

Q : Et quand on sait que certains d’entre eux venaient de la petite bourgeoisie, comme Joe Strummer, on peut penser qu’il y a là aussi une rupture…

R : Oui, il avait une conscience politique très aiguë, c’était vraiment un marxiste. Et quand la musique de Clash a évolué, il a offert à son public un disque extrêmement généreux, avec Sandinista, où il y a du rock varié, avec du punk, du reggae…








[i] Michka ASSAYAS, Dictionnaire du rock, Paris, Robert Laffont, 2001 pp 1484-1490
[ii] Les Inrocks2, 50 ans de rock volume III, 2004, pp 24-28
[iii] Uncut, October 2004

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