dimanche 8 janvier 2012

Un "concept album" en 1972 : "The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars" de David Bowie

“The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars” ne se résume pas à un album, il est bien plus que cela. La nébuleuse Ziggy Stardust, si tant est qu’on puisse la nommer ainsi, de par ses références à la science-fiction et sa visée prophétique, se présente comme un véritable concept. « Ziggy Stardust » est en effet plus qu’un simple album, un personnage à part entière. L’épopée Ziggy Stardust, c’est avant tout l’histoire d’une aventure interstellaire, de l’ascension « Rise » et de la chute « Fall » d’un personnage : Ziggy Stardust, messager extra-terrestre venu, avec son groupe, les Spiders From Mars, prôner l’amour et la paix à une humanité belliqueuse, dont l’espérance de vie ne se chiffre plus qu’à cinq ans. Et c’est bien là le paradoxe du personnage de Ziggy. Son humanité est ce qui le perdra. A force d’excès, il se voue à l’autodestruction.

Cet album avant-gardiste est considéré comme un concept-album. Le terme de concept-album se définit par le désir d’un artiste de créer une œuvre musicale relatant une histoire plus ou moins structurée, avec notamment un même personnage que l’on retrouve d’un bout à l’autre de l’album. Si l’on peut parler de concept-album au sujet de «The Rise and Fall of Ziggy Stardust and The Spiders from Mars » c’est tout d’abord parce que l’album est indissociable du personnage qui en est à l’origine. Le Ziggy de l’album est celui qui a donné vie au Ziggy incarné par Bowie sur scène. Et vice versa.

Enregistré en 1972 aux studios Trident de Londres, “The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars”, parut le 6 juin 1972 en Grande-Bretagne, sur le label américain RCA Records. Ses ventes se chiffrèrent à 80 000 exemplaires dès sa première semaine en magasin, un très bon résultat à cette époque où les sorties d'albums étaient nombreuses. L’album se plaça rapidement en 19e position des charts britanniques, avant d’atteindre la 5ème place. Il resta 106 semaines dans les charts. Aux Etats-Unis, l’album parut le 1er septembre 1972, fut 75ème dans les charts et y resta 72 semaines. En juin 1974, il devint disque d’or. Il fit par la suite l’objet de plusieurs rééditions, notamment en 1981 en Grande-Bretagne et en 1990 aux Etats-Unis et de nouveau au Royaume-Uni. Il fut également réédité en 2002 par EMI, dans une version remasterisée comportant deux disques, à l’occasion du 30ème anniversaire de sa sortie.

Lors de sa parution, la réception de l’album fut très bonne. Rolling Stone et Melody Maker notamment, publièrent de bonnes critiques à son sujet. En 1987, le magazine Rolling Stones en fit le 6ème meilleur album des vingt dernières années. En 2006, c’est le très renommé magazine américain « Time », qui l’intégra à sa liste des 100 plus grands albums de tous les temps. Aujourd’hui, « The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars » est considéré comme l’un des albums cultes de l’histoire du rock et comme l’un des plus grands albums de David Bowie.

Critique de Rolling Stone par Richard Cromelin (20 juillet 1972) : http://www.5years.com/zsreview.htm

Critique de Melody Maker par Michael Watts (1er juillet 1972) : http://www.5years.com/rmw.htm

L’album s’ouvre sur "Five years", titre où Bowie fait le récit d’une humanité décadente qui n’a plus que cinq ans à vivre : « Earth was really dying” / “We've got five years, that's all we've got”. Bowie, alias Ziggy Stardust sillonne les rues et relate la vision apocalyptique d’un monde décadent qui agonise. Il apostrophe l’auditeur: “Don't think you knew you were in this song”, et en fait l’acteur de la décadence annoncée du monde, l’incitant subtilement à entrer dans son univers. Le message prophétique de la chanson annonce déjà la fin de l’album et son "Rock & Roll Suicide", marqué par les lamentations d’un personnage dont on ne sait clairement l’identité : « Oh no love ! You’re not alone ». Est-ce Ziggy qui s’exprime ? Ou est-ce son alter ego Bowie qui le supplie et tente de le soutenir dans la mort ? Le doute subsiste. « Starman » reste cependant le single emblématique de l’album. Il en est le premier single et sortit le 28 avril 1972, un peu plus d’un mois avant la sortie du disque. Ziggy Stardust y explose aux yeux du monde : « A Starman waiting in the sky », mais l’ascension est de courte durée. L’air offensif de « Moonage Daydream » : « I’m an alligator » / « I’m a space invader », laisse place au doute de “It ain’t easy” : “It ain’t easy to get to heaven when you’re going down ». Puis piste 9, “Ziggy Stardust”, hommage musical désabusé au personnage éponyme : “He took it all too far”, la chute est proche, Ziggy le pressent : “Making love with his ego Ziggy sucked up his mind like a leper messiah” / “When the kids had killed the man I had to break the band.” Le groupe est dissous, Ziggy est seul. Enfin, c’est le “Rock & Roll Suicide” qui met fin à la chute. Le suicide final. Bowie prophétise déjà le destin de son personnage scénique.


C’est au cours d’une période de créativité intense que Bowie écrivit « Rise and Fall of Ziggy Stardust and The Spiders from Mars ». En effet, l’épopée « Ziggy Stardust » ne s’arrêtera pas à cet album ; elle se poursuivit au cours de l’année suivante, avec la sortie, en 1973, de deux autres albums mettant en scène le personnage : « Aladdin Sane » et « Pin-Ups »


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C'est également en 1973 que sortit le film : « Ziggy Stardust and the Spiders from Mars : The Motion Picture». Il s’agit d’une captation du concert que David Bowie donna le 3 juillet 1973 au Hammersmith Odeon de Londres. Le film fut projeté à plusieurs reprises dans le cadre de festivals, puis disparut des écrans pour ne réapparaître qu’en octobre 1980, date à laquelle sortit la bande-originale du film. Si ce concert est resté dans les esprits, c’est parce que c’est celui qui mit un terme à l’aventure Ziggy Stardust. C’est au cours de ce concert mythique que Bowie tua Ziggy, annonçant au public: "Not only is it the last show of the tour, but it's the last show that we'll ever do. Thank you." (Ce n’est pas seulement le dernier concert de cette tournée, mais c’est le dernier concert que nous ferons, merci.). De nombreux fans de Bowie crurent alors que le musicien annonçait la fin définitive de sa carrière.



La "mort" de Ziggy Stardust - "Rock & Roll Suicide", Hammersmith Odeon, 1973 :



Les concerts du Ziggy qu’incarnait Bowie sur scène relevaient plus de la performance que du simple concert. Pour passer l’épreuve de la scène, Bowie s’entoura de Mick Ronson à la guitare, Trevor Bolder à la basse et de Mick Woodmansey à la batterie. Tous trois bons musiciens, ils apportèrent une nouvelle dimension à l’album. Mick Ronson avait suivi une formation classique. Leader des Spiders From Mars, il était un excellent guitariste, dont Bowie dit élogieusement qu’il était son Jeff Beck. (« He was my Jeff Beck »).

Mick Ronson jouant "Moonage Daydream" en 1972 :


Selon David Bowie lui-même, le personnage Ziggy Stardust aurait vu le jour sous l’inspiration du chanteur britannique des 60’s, Vince Taylor. Celui-ci, accro aux drogues en tous genres, était convaincu d’être un nouveau messie, prétendant être la réincarnation de l’apôtre Mathieu, ce qui lui valut des séjours successifs en hôpital psychiatrique. Le Ziggy Stardust de Bowie est une sorte d’alien glam-rock androgyne, au maquillage surabondant, aux tenues moulantes et pailletées, aux platforms et aux cheveux teints en orange. A travers son personnage Bowie semble porter un regard critique sur la scène rock de son époque. En 1972, date à laquelle il sort son disque, le monde du rock est encore dominé par des groupes arborant une virilité outrancière mêlée à une sexualité ostentatoire explicitement machiste. On pense notamment à la tension sexuelle des prestations énergiques des Rolling Stones. Les fastes du Flower Power sont désormais loin et Bowie décide de rompre totalement avec cette période. Il crée une caricature de rock-star que les excès et le succès mènent à sa perte.

Là où Ziggy Stardust transcende le concept-album, c’est lorsque le destin du personnage rejoint celui de l’artiste et se mêle au sien. La démarche artistique de " The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars", était d’en faire un album au son moins commercial que son prédécesseur "Hunky dory". Pourtant, c’est en créant le personnage de Ziggy Stardust que David Bowie devint la vedette internationale que l’on connaît encore aujourd’hui. L’album est marqué par ses références au business de la musique, à sa démesure et à ses excès. Mais Ziggy Stardust fut surtout une expérience qui transcenda la musique. Elle aurait pu faire perdre la raison à Bowie. En 2004, la Libre Belgique publia un extrait d’une interview, dans laquelle Bowie disait : «Je considérais alors que je pouvais tout aussi bien emmener Ziggy avec moi lors des interviews. Pourquoi le laisser sur scène? Quand je regarde en arrière, je me dis que c'était complètement absurde. Cela est devenu très dangereux. Je ne peux pas nier le fait que cette expérience m'a affecté de façon exagérée. J'ai réellement eu des doutes au sujet de ma santé mentale.» C’est certainement conscient de ce risque et lassé de son personnage, que Bowie lui donna la mort. Une mort scénique, orchestrée comme une tragédie grecque qui donna à Ziggy les traits d’un héros Olympien, dont la mort fit un mythe. Cette mort, Bowie devait l’accepter pour ne pas faire un jour lui-même les frais de son succès fulgurant.


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